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Lors de la discussion du projet de loi sur l'immigration à l'Assemblée Nationale, nous avons envoyé aux député/e/s une lettre accompagnée de notre analyse de ce projet de loi.
Madame, Monsieur,
Vous allez débattre du projet de loi “ relatif à la
maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France ”. Nos associations, engagées pour les droits des femmes et contre les violences faites aux
femmes, souhaitent vous faire part de leurs préoccupations à propos de certains articles de ce texte qui restreignent les droits des femmes étrangères en France et
fragilisent ainsi leur autonomie, notamment les articles 11, 13-28 et 22, concernant respectivement les conjoints de Français, le regroupement familial et les étrangers
susceptibles d'être expulsés.
Selon les dispositions des articles 13 et 28, les personnes
arrivant en France par le biais du regroupement familial - des femmes dans les trois quarts des cas - n'auront plus droit au même titre de séjour que la personne
qu'elles viennent rejoindre. Il s'agissait le plus souvent d'une carte de résident. Désormais, elles qu’une carte de séjour d’un an qui devra être renouvelée
cinq fois avant qu'elles puissent enfin obtenir une carte de résident. Que se passera-t-il
en cas de rupture de la vie commune, due par exemple à un conflit ou des violences conjugales, une répudiation ?
Selon l'article 11, la même précarisation atteint les épouses
de Français qui n'obtiendront une carte de résident qu'au bout de deux ans de vie commune et non plus d'un an.
Quant à l'article 22, qui dans l’exposé des motifs est mis
en relation avec la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003, il permet l’éloignement “ d’étrangers délinquants ” en situation régulière
en raison d’un certain nombre d’infractions dont le “ racolage ” (mis sur le même plan que le proxénétisme et la traite !) . Des femmes étrangères,
déjà victimes de la violence du système prostitutionnel, devront elles en outre être expulsées, au lieu de se voir offrir des alternatives à la prostitution ?
Nos associations rencontrent depuis longtemps de nombreuses
femmes étrangères subissant des violences conjugales, soumises au pouvoir de leur mari, qu'il soit Français ou étranger, mises à la porte ou "répudiées"
par lui, ou rompant la vie commune à cause de violences subies, comme en rend compte l'article de journal Libération daté du 5 mai 2003. L'interdépendance de
leur situation administrative et maritale
peut contraindre les femmes victimes de violences à renoncer à leur liberté individuelle et à leur intégrité physique sous peine de perdre leur droit au séjour
et d'être reconduites à la frontière.
Les femmes se sont battues pour le droit au divorce et la
reconnaissance de la violence conjugale comme un délit. Les femmes étrangères doivent-elles être privées de ces droits ?. Leur refuser le droit au séjour parce
qu'elles décident de rompre avec la violence, c'est leur infliger une double peine, une double violence.
Par ailleurs, comment attendre d'elles qu'elles répondent aux
critères d'intégration qui leur permettent d'obtenir une carte de résident, quand ce projet de loi les contraint à un statut précaire ? Ces titres de séjour
temporaires rendent difficile une installation satisfaisante en France, notamment sur le plan professionnel (de nombreux employeurs hésitent à embaucher en CDI des
personnes n’ayant qu’une carte de un an).
Nous tenons à attirer votre attention sur les conséquences
de ces nouvelles dispositions, aggravant encore la situation actuelle, pour les femmes. Nous vous joignons un document d’analyse critique et de propositions que vous
pourrez utiliser pour interroger le gouvernement et déposer des amendements garantissant le droit au séjour des personnes étrangères en France
Comité d'action interassociatif
“ droits des femmes, droit au séjour, contre la double violence ”.
Notre analyse du projet de loi
REFORME DE L’ORDONNANCE DE 1945
SUR L’ENTRÉE ET LE SÉJOUR DES ÉTRANGER/E/S EN FRANCE :
Le comité d’action
inter-associatif “ Droits des femmes, droit au séjour, contre la double violence ” se compose d’associations de femmes issues de l’immigration ou de
solidarité envers ces femmes souvent confrontées à la double précarité et à la double violence vécues par les femmes étrangères parce qu’elles sont femmes et
étrangères.
VIOLENCES CONJUGALES ENTRETENUES PAR
LA DÉPENDANCE JURIDIQUE
Nos associations dénoncent la
dépendance juridique des femmes obtenant un droit au séjour en raison de leur mariage avec un français ou un résident étranger : en cas de rupture de la vie
commune, leur titre de séjour peut ne pas être délivré ou renouvelé ou leur être retiré. Cette dépendance est d’autant plus dramatique quand elle ne laisse aux
femmes que le choix entre la sauvegarde de leur intégrité physique et morale, mais l’irrégularité du séjour, et la régularité du séjour, mais au péril de leur
vie.
Ces situations de dépendance, très
fréquentes, nous préoccupent déjà depuis longtemps, mais ce projet de loi tend à les accroître. Il favorise en effet encore davantage le maintien des femmes
étrangères, épouses de français ou d’étrangers, dans des situations de dépendance propices à des violences à leur encontre, et même les aggrave.
En revanche le droit à une vie
familiale et la diversité des liens qui peuvent constituer une famille ne sont reconnus.
NOUS DEMANDONS :
- la suppression des modifications concernant le regroupement
familial (articles 7, 13 et 28 du projet de loi) et le maintien de la situation antérieure, à savoir que l’entrée en France par le regroupement familial assure la
délivrance du même titre de séjour que la personne que l’on vient rejoindre
- la suppression de la modification concernant les conjoints
de français (article 11 du projet de loi) et le maintien de la situation antérieure, à savoir la délivrance d’une carte de résident au bout d’un an de mariage
- le maintien et le renouvellement du titre de séjour en cas
de rupture de la communauté de vie due à des conflits dans le couple (violences conjugales, répudiations …). Ce point doit être inséré dans les articles 12 bis et
15 de l’Ordonnance de 1945 et entraîner une modification de l’article 29 IV de cette ordonnance, ainsi qu’une modification de l’article 28 du nouveau projet de
loi.
- la régularisation des épouses de polygames : ces
femmes ne sont en effet en rien responsables de cette situation de polygamie qui leur est imposée et l’illégalité où elles sont maintenues renforce leur oppression
(remise en cause des modifications apportées en 1993 à l’Ordonnance de 1945)
- des possibilités plus grandes de régularisation par
regroupement familial sur place : la situation de non-droit dans laquelle sont actuellement maintenues de nombreuses épouses d’étrangers est en effet propice à
de nombreux abus et violences (modification de l’article 29 I de l’ordonnance de 1945)
- des possibilités de regroupement familial pour les couples
non mariés, et pour les enfants même s’ils ne sont ni légitimes ni adoptés (au sens du code civil français), mais objet d’un acte de tutelle ou si les parents
sont divorcés
DOUBLE VIOLENCE : EXPLOITATION
SUR LE TERRITOIRE ET EXCLUSION DU TERRITOIRE
Nos associations se préoccupent
également du sort des mineur/e/s et jeunes majeurs, et des personnes exploitées dans l’esclavage domestique ou la prostitution.
Les mineur/e/s, entré/e/s en France
hors regroupement familial et après l’âge de 10 ans, peuvent être confronté(e)s à des situations graves d’exploitation
du fait de leur dépendance (due à leur âge, à leur situation de famille et à leur situation administrative). Il est juste qu’ils et elles soient
régularisé/e/s à leur majorité, car quelles que soient les conditions de leur venue en France, ils et elles ont commencé à construire leur vie ici et un refus de
séjour mettrait en cause tout leur avenir. Or ce projet de loi ne prend pas en compte ces situations dramatiques sur lesquelles pourtant l’opinion a été alertée.
Les personnes exploitées par le
système prostitutionnel peuvent, par la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 qui fait du “ racolage public ” un délit, être privées de
leur titre de séjour et reconduites à la frontière. Le projet de loi sur l’immigration y fait référence dans son commentaire de l’article 22. Ces textes ajoutent
donc aux violences du système prostitutionnel la violence de l’expulsion et d’une précarité encore plus grande
NOUS DEMANDONS :
- que les personnes victimes d’esclavage domestique ou de la
prostitution se voient délivrer un titre de séjour et que des alternatives en terme de logement, emploi, formation, leur soient garanties
- que les victimes du système prostitutionnel ne soient pas
obligées pour obtenir un titre de séjour de dénoncer un réseau ou un proxénète, ce qui dans la plupart des cas est impossible
- que le délit de " racolage public " n’entraîne
pas le refus de la délivrance d’une carte de résident (art. 10 du projet de loi), ni le retrait d’un titre de séjour, ni des mesures d’expulsion (art. 22 du
projet de loi), ni le refus du bénéfice d’une protection temporaire en cas de besoin (art. 30, 2° du projet de loi). Il n’y a aucune commune mesure entre le “ racolage ”
et les crimes de proxénétisme ou de traite. Il s’agirait là d’une double peine infligée à des personnes qui sont des victimes du système prostitutionnel. Nous
demandons donc la modification des articles 10, 22 et 30 qui criminalisent les victimes du système prostitutionnel accusées depuis l’entrée en vigueur de la loi sur
la sécurité intérieure du 18 mars 2003 de menacer l’ordre public.
- que les mineur(e)s entré(e)s en France hors conditions
légales et après l’âge de 10 ans se voient attribuer un titre de séjour à leur majorité, en raison de leur insertion déjà réalisée dans la société
française (scolarisation, formation professionnelle, emploi …), ce qui nécessite une modification de l’article 12 bis 2 de l’ordonnance de 1945.
DOUBLE VIOLENCE :
PRESSION SOCIALE ET APPLICATION DES CODES DE STATUT PERSONNEL EN FRANCE
Ce projet de loi se propose de lutter
contre les mariages forcés en apportant des modifications au code civil, mais ne répond pas aux problèmes rencontrés par les femmes. En effet, en plus des femmes
ayant subi un mariage forcé qui se voient démunies de titre de séjour en cas de retour en France, nous comptons aussi toutes celles qui sous la pression sociale et
familiale ont dû quitter la France et se résigner à un mode de vie qui ne leur convient pas et ne se révoltent malheureusement que trop tard alors que leur titre de
séjour est périmé (au bout de trois ans d’absence pour une carte de résident, art.18 de l’Ordonnance de 1945).
Enfin des femmes ressortissantes de
certains États, et vivant en France, subissent des traitements discriminatoires du fait de l’application en France de codes de statut personnel profondément
inégalitaires.
NOUS DEMANDONS :
- que les femmes étrangères ayant vécu en France et qui ont
quitté le territoire sous la pression familiale, non seulement en raison d’un mariage forcé, mais aussi pour diverses autres raisons familiales (par exemple, pour
apporter des soins à un parent malade dans le pays d’origine : le rôle d’infirmière familiale étant traditionnellement dévolu aux femmes) recouvrent leur
titre de séjour si elles veulent revenir en France
- que les consulats français à l’étranger apportent leur
aide aux femmes étrangères vivant ou ayant vécu en France, notamment dans le cas où leur titre de séjour leur a été confisqué ou a expiré
- que soit reposé par le ministère des affaires étrangères
et celui de la justice le problème de l’application en France des codes de statut personnel discriminatoires des pays d’origine
DOUBLE VIOLENCE : NÉCESSITE D’INTÉGRATION,
MAIS MAINTIEN DANS LA PRÉCARITÉ
Cette loi se propose de favoriser "
l’intégration " des personnes étrangères, alors qu’elle les précarise. Les titres de séjour temporaires sont peu favorables à un travail stable et bien
rémunéré (nombre d’employeurs refusant d’embaucher en CDI des personnes titulaires d’une carte de un an), et la précarité de l’existence peu favorable au
développement d’activités associatives ou culturelles. Comment exiger des preuves d’intégration tout en maintenant les étranger/e/s en situation administrative
précaire ?
NOUS DEMANDONS :
- que les personnes régularisées au titre de l’article 12
bis, qui pour la plupart ont vécu depuis longtemps en France et subi des conditions de vie et de travail très difficiles, obtiennent une carte de résident et non une
carte de séjour d’un an
- qu’elles aient accès à la totalité des droits sociaux
(par exemple allocations familiales, allocation parent isolé …) dès leur régularisation et sans que les enfants nés à l’étranger et venus avec elles en France
aient besoin de se voir appliquer la procédure de regroupement familial
- que dans les programmes qui seront mis en place dans le
cadre du " contrat d’intégration ", les femmes reçoivent des formations qualifiantes leur ouvrant l’accès à une diversité de professions, hors des
secteurs traditionnels dits " féminins " dans lesquels elles sont le plus souvent confinées
- le retrait de l’article 10 du projet de loi qui
prévoit de ne délivrer une carte de résident qu’au bout de cinq ans de séjour régulier et de soumettre la délivrance de cette à son activité professionnelle,
son intégration, sa volonté de s’installer durablement en France. Cet article, ainsi que les articles 13 et 14 du projet de loi, présentent la même
incohérence : demander aux personnes placées en condition de précarité pendant cinq ans de prouver tout de même leur intégration pour obtenir une carte de
résident.
De manière générale les lois
françaises sur l’immigration, fermant les frontières aux migrants et ne prenant pas en compte la féminisation des migrations et leur autonomisation croissante,
mettent dans l’illégalité de nombreuses femmes venant seules en France pour travailler. L’ensemble des sans-papier/e/s travaillent. Ils et elles répondent donc à
une demande. Il est juste de les régulariser pour qu’ils et elles puissent travailler de manière légale!
NOUS DEMANDONS :
- la reconnaissance d’une immigration de travail et donc la
possibilité pour les femmes d’obtenir un statut de résident de façon autonome, indépendamment de leur situation familiale, en tant que travailleuses
POUR UNE ÉGALITÉ CONCRÈTE ENTRE
LES FEMMES ET LES HOMMES.
En matière d’immigration, le droit
français n’établit pas à proprement parler de discrimination entre les sexes. Néanmoins, l'égalité pour ne pas exister uniquement en droit, mais être réelle,
doit tenir compte des situations concrètes dans lesquelles se trouvent les personnes. Dans le domaine de l’emploi, la loi Roudy suivant une directive communautaire de
1976, reconnaît la notion d’égalité concrète. Du fait des rapports sociaux de sexes, les lois sur l’immigration devraient également prendre en compte cette
notion En effet, les violences conjugales étant essentiellement des violences masculines contre les femmes, l’interaction entre situation conjugale et administrative
représente une discrimination exclusivement envers les femmes, même si les hommes époux d’une Française ou venant par le regroupement familial sont soumis à cette
même dépendance.
Pourtant, par la ratification de la
Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), la France s'est engagée à "inscrire dans [sa] constitution
nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe d'égalité des hommes et des femmes, si ce n'est déjà fait, et à assurer par voie de
législation ou par d'autres moyens appropriés, l'application effective dudit principe" et à "prendre toutes les mesures appropriées, y compris des
dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l'égard des
femmes" (article 2).
Les engagements pris par la France s’appliquent
aussi aux femmes de nationalité étrangères vivant en France.
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