Accueil | Qui sommes nous ? | Nos actions| Nos analyses | Nos membres | Ressources | Outils

 

Mariage postal et la violence

Un voyage vers l'illusion

Soheila de Larminat

 

Cet exposé n'est pas le fruit d'une recherche scientifique et poussée, mais un sujet de débat et de réflexion. C'est le résultat de nos observations dans notre travail quotidien et aussi l'expérience de notre vie depuis les événements de 79, dans ce pays bouleversé. Il est nécessaire de préciser que ce qui nous préoccupe ici ce sont les cas d'échecs et non pas les réussites, car quand les deux parties sont en accord et s'entendent, bien entendu ils ne s'adressent pas à nous.

Nous vous invitons ainsi à méditer ensemble sur les conséquences de la pratique du mariage dit postal, un des aspects de la mentalité et des pratiques misogynes dans notre pays l'Iran, qui facilite le cheminement vers la violence.

C'est un mariage, sans ou avec peu de connaissance préalable, fait à distance et souvent par l'intermédiaire de la famille et des amis et au moyen de cassette vidéo, par téléphone et parfois de brèves rencontres soit en Iran soit dans un pays tiers. C'est un mariage par procuration. L'homme vit hors d'Iran parfois de longues années et souhaite avoir une iranienne comme épouse avec de bonnes ou de mauvaises intentions qui ne sont pas tous voués à l'échec mais il y a des facteurs qui rendent ce genre d'union très fragiles. Il existe des hommes qui profitent de cette situation et prennent une femme non en tant qu'épouse avec qui partager le présent et l'avenir mais en tant qu'une bonne à tout faire ou comme un souffre douleur. Ce genre de mariage se pratique là où la situation sociale et économique rend la vie difficile et de plus , où les mœurs et les traditions considèrent la femme comme un sous-homme. Une fille est une chose qu'il ne faut pas garder longtemps à la maison. Quand elle a plus de vingt et quelques années et qu'elle n'a toujours pas trouvé un mari c'est très mal vu, il faut se presser de s'en débarrasser. Ces femmes conscientes de leur situation se jettent souvent dans la gueule du loup.

 

*Pourquoi les femmes veulent ce genre de mariage :

* Les Iraniennes fuient leur pays hostile à la femme, là où il n'y a pas de vraie possibilité de s'épanouir et même de vivre comme une personne à part entière. Le nombre de filles qui réussissent leur études supérieures est nettement plus élevé que celui des garçon mais bizarrement elles occupent de manière significative moins le marché du travail et encore moins des postes à responsabilités. Il était question en Iran d'instaurer un quota d'admission dans les universités en favorisant l'accès des garçons car ils ne peuvent pas réussir le concours d'entrée, qui est par ailleurs un examen très difficile à passer. Ils ne sont peut-être pas aussi motivés que les filles parce que l'université présente une porte de sortie vers le monde d'extérieur et de rencontres pour les filles ce dont les garçons n'ont pas besoin. Ce quota est une sorte de discrimination « positive » en faveur des hommes. Comme si les femmes n'étaient pas suffisamment réprimées, alors on invente des lois supplémentaires pour favoriser l'hégémonie des hommes.

* Les lois ne sont en rien en faveur des femmes surtout en cas de conflit conjugal. L'homme sans désir pour sa femme, ou pour je ne sais encore quelles autres raisons décide un jour de se séparer de sa femme. Il le peut et il le fait. S'il désire garder ses enfants il les garde. La femme se retrouve du jour au lendemain sans rien sans avenir. Nous savons tout cela et il est inutile de développer l'injustice de la loi en matière de divorce, garde d'enfant et les dédommagements des femmes et beaucoup d'autres encore. Ainsi les jeunes femmes souhaitent se marier et vivre dans un autre pays où les lois ne leur sont pas systématiquement défavorables . Ça Paraît peut-être dérisoire mais c'est une forte motivation pour s'engager dans ce genre d'aventure.

* Les femmes fuient un pays macho. Si ce n'est pas le père, le frère ou le mari qui les oppresse, ce sont les voisins, les gardiens des mœurs qui se baladent en ville et les juges religieux qui s'en chargent. Les mères, les sœurs et les voisines ferment parfois les yeux et laissent faire. Si ce n'est pas le machisme des femmes qui les poussent à coopérer, c'est la peur qui les transforme en complice.

C'est ainsi que les jeunes filles commencent à construire leur rêve ailleurs et se résignent à cette sorte de mariage. Un rêve fabriqué par des médias diffusé par les satellites, capté par les antennes paraboliques omniprésentes dans toutes les maisons. Et aussi répandu par les clichés sur l'occident, par les rumeurs et par les récits d'une réalité déformée ou mal comprise par ceux qui rentrent au pays.

Tous ces racontars propagent le mythe d'un monde parfait de l'autre côté de la planète sans mettre en garde les jeunes et leurs parents contre les pièges qui les attendent. Les promesses d'une vie en rose présentées par l'homme candidat au mariage, enfoncent le clou.

Si on leur dit que de l'autre côté vous aurez aussi beaucoup de problèmes alors restez ici vous battre, elles vous répondent :

On n'a qu'une vie et on veut la vivre et le mieux possible, alors on s'en va, ça marchera peut-être bien, ça veut le coup.

 

Et les hommes, quel rêve les habitent ?

 

Quant aux hommes qui vivent ici, pourquoi cherchent-ils une femme qu'ils ne connaissent pas et qui vit à des milliers de kilomètre de distance ? Sans prétendre d'avoir une réponse juste et complète, on peut quand même tenter de comprendre aussi quels rêves habitent certains de ces hommes là.

Mis à part la communauté de coutume et de langue, je pense que les hommes qui cherchent une femme du pays, expriment une nostalgie. Nostalgie d'une femme à l'image de leur mère, la mère qui est considéré comme sacrée. Elle est pure, docile gentille, dévoué, apte à élever les enfants de l'homme. Une femme qui s'oublie. Une vierge, dans le sens propre et figuré, qui malgré tout, doit être capable de donner toute satisfaction à son mari, le respecter. Une femme auprès de laquelle il se sent fort, qui lui permet de se sentir homme comme il l'a toujours appris. Avec un tel archétype de femme il pense pouvoir se sentir apaiser, être lui même. Dans l'abstrait il peut admettre que les femmes peuvent être émancipées et maîtres de leur destin et de leur corps mais dés que l'on parle vraiment de questions sérieuses,- de mariage -et de vivre avec, ça c'est une autre paire de manche. Une femme comme il veut, ça ne se trouvent pas aisément en Europe, qu'elle soit européenne ou iranienne. Car elles ont été les unes et les autres élevées ou familiarisées avec une culture qui leur permet d'être libre et indépendante, dans laquelle se soumettre à un homme est de plus en plus une tare et non pas une vertu. Ces femmes là déstabilisent ces hommes. Ils les trouvent dévergondés. C'est leurs expériences et leurs aventures antérieures qui le prouvent.

Ainsi vont-ils en chercher dans leur pays d'origine et souvent par le réseau de la famille et des proches. Sauf qu'Ils n'ont oublié qu'un petit détail :

 

Les femmes en Iran ont changé aussi.

 

Les filles d'aujourd'hui ne ressemblent plus à leurs mères. Elles ont beaucoup évoluées. Elles veulent être elles même, elles ont du désir et des désirs et elles ne le cachent plus, elles veulent être l'égale de leurs hommes et elles réclament leur droit et leur dû.

L'homme désillusionné ne comprenant pas ce qui lui arrive prend ces réclamations pour une trahison et la vie devient un enfer. Pour ne pas en arriver là il y en a qui prennent des précautions et essayent de contrôler leur femme dès le début. Ils les isolent, les empêchent d'apprendre la langue, pour mieux les tenir en main. Mais ils ne savent pas qu'un oiseau en cage ne chante que le chagrin. Alors il y a mésentente, dispute, froideur. On en arrive même jusqu'à la violence verbale puis physique.

On peut trouver beaucoup de ressemblance entre un mariage postal et un mariage arrangé, ce qui est toujours pratiqué dans des milieux traditionnels, effectivement ils sont assez proches. Ce qui les différencie c'est :

* Alors que le mariage arrangé se pratique plutôt dans les milieux traditionnels, le mariage postal se répand dans toutes les couches de la société

* Les attentes dans un mariage d'amour et un mariage traditionnel (ou de raison) sont plus ou moins claires. Tandis que dans cette nouvelle forme de mariage -postal- les relations ne sont définies ni par la tradition ni par l'amour. C'est un monstre à deux têtes. On a l'impression que les hommes et les femmes ne savent pas ce qu'ils doivent y mettre comme contenu. Chacun y arrive avec ses propres attentes et ses illusions. Vous allez me dire que ce phénomène est propre au mariage. Je suis d'accord mais ici c'est quand même plus particulier.

L'homme qui vit de ce côté de la frontière à un grand choix de femmes du pays à cause de multiple raisons que j'ai déjà évoquées mais aussi à cause des facteurs économiques qui rendent le mariage très difficile, comme le chômage, le coût élevé du logement et le coût de la cérémonie. N'oublions pas que la guerre a réduit le nombre des hommes. Ainsi les hommes trouvent bien des femmes et des jeunes filles disponibles et souvent ils choisissent une épouse que peut-être dans d'autres circonstances ils n'auraient pas réussi à avoir.

Après quelques temps ces différences se font sentir et se révèlent sous forme de malentendus, d'une absence d'approche commune, sur le déroulement de la vie quotidienne, sur l'avenir et surtout sur l'éducation des enfants. Elle est là pour mener sa vie comme elle l'a rêvé et lui, il veut qu'elle vive comme lui il l'entend.

A cela ajoute mille problèmes de la vie de tous les jours qu'elle n'avait pas imaginées. Vivre dans un nouvel environnement demande beaucoup de temps et d'initiations. Est-ce qu'elle en a eu ? Pas.sûr ! Parfois les choses les plus banales comme faire les courses peuvent lui poser problème. Apprendre la langue et les mœurs de la vie nouvelle, essayer de travailler ou pou r suivre des études, faire des démarches administratives. Bref, l'homme doit tout faire. Il en demande la reconnaissance. Elle de son côté se bat pour se débrouiller seule et elle a du mal, ce qui la rend fragile et frustrée. Elle perd confiance. La solitude pèse aussi. Elle est désenchantée, il est déçu. Elle compte sur son mari qui est souvent la seule personne qu'elle côtoie, pour l'aider à s'en sortir. Il arrive qu'il y ait des hommes qui font tout pour qu'elle reste dans cet état d'infériorité pour la garder sous leur coupe. Certains n'hésitent pas à se servir de la manière forte, la mépriser, l'isoler de plus en plus, et pour finir lever la main sur leur femme.

En l'absence de la famille et de ses proches à qui on peut raconter ses malheurs, sans connaissance des institutions aptes à les aider et souvent avec de grande handicap pour s'exprimer dans la langue du pays d'accueil, la présence d'associations comme la notre s'avère efficace. Elles arrivent déprimées, perdues souvent culpabilisées par l'échec, juste pour se confier à nous. Nous sommes avant tout une bouée de sauvetage mais nous pouvons aller plus loin si elles le désirent. Nous les écoutons, les renseignons, les accompagnons dans leur démarches vers l'autonomie. Et s'il y a de la violence, nous ferons le nécessaire pour qu'elles s'en sortent.

Ce phénomène-le mariage postal- existe belle et bien, et nous n'y pouvons rien sauf informer les intéressés des risques qu'ils courent. Les désillusionner, les prévenir de leur droit et leur devoir, et leur communiquer les différents point de vu sur la vie des femmes.

Peut-être par des articles diffusés sur l'Internet ? Ou bien peut-être passer par des médias lus par des plus grands nombres ? Ou par diffusion des prospectus dans les ambassades des pays où elles veulent y séjourner ? En tout cas tous les moyens d'information sont valables et bons à prendre.

Pour finir je vous raconte le résumé d'une discussion avec une de ces femmes qui vient de se séparer de son mari. Le juge à la fin du procès a bien reconnu les violences du mari malgré ses ruses et ses dénégations et est intervenu avec ferveur en sa faveur.

Je lui demande pourquoi elle s'est mariée avec un homme qu'elle n'avait jamais vu que sur une cassette vidéo ?

Elle me répond : pression de la famille. Je me suis déjà mariée avec un cousin que j'aimais malgré le désaccord de la famille. Je me suis battue pour avoir leur accord. Il vivait en Hollande, il m'aimait aussi. La veille de notre mariage quand tout était arrangé et qu'il était sûr d'avoir réglé l'affaire, il a fait une crise de jalousie violente. Il m'a donné un coup de pied dans le ventre pour me réveiller et m'interroger sans une raison valable. J'ai voulu tout rompre mais j'ai finalement cédé à la pression car les invitations étaient déjà lancées. Pendant nos trois mois de mariage il se croyait mon propriétaire. C'est devenu intenable. Ma famille a finalement tout compris et je me suis séparée. Le mariage n'a pas été consommé je n'en ai pas voulu. Tout de suit après, mes frères m'ont trouvé celui-ci pour se débarrassé de moi. La difficulté de vivre comme femme divorcée avec des frères qui essayaient de limiter ma liberté et ses belles promesses à lui, m'ont aidé à prendre cette décision.

Je lui demande pourquoi cet homme qui avait déjà été marié avec une française, voulait se marier avec une iranienne d'Iran ?

Elle répond : parce qu'il n'arrivait pas à exercer son pouvoir sur elle. Je pense qu'il se vengeait des autres sur moi. Il essayait de me rabaisser sans arrêt devant tout le monde, avec des remarques incongrues et méprisantes sur mon physique. Comme quoi je n'étais pas assez belle et qu'il pouvait trouver mieux. Il critiquait sans arrêt mes mains, mes pieds et.. Et il se vantait de ses relations sexuelles avec les autres. Je crois qu'il était jaloux. Je me suis adapté assez vite, les gens le félicitaient d'avoir une femme comme moi et il ne le supportait pas. Quand je protestais il me battait. Une de ses insultes c'était que j'étais féministe, c'est la première fois que j'ai entendu ce mot. Au fait qu'est-ce que c'est féministe ?

Je me devais de lui expliquer à quoi allait servir son témoignage et qu'on aimerait bien prévenir et informer et blab blab blab,

Elle me dit : ne te fatigue pas, elles veulent toutes, fuir ce pays peuplé de machos. Elles espèrent toujours.

Je lui demande : et les hommes et l'amour, qu'est-ce que t'en penses ?

Elle me répond : qu'ils aillent tous au diable, l'amour c'est des conneries.

Je lui dit : sans amour, la vie n'a pas de sens, comment vivre sans amour ?

Elle me conseille d'aller aimer les enfants sinon les chats et les chiens car les hommes n'en valent pas la peine.

Je lui dis qu'elle est très fâchée, elle a de la haine.

Elle me répond : t'as autre chose à me proposer ! bien sûr que je suis fâchée, et contre tous le monde, la famille et les hommes.

Je lui dis que jusque là, elle est mal tombée et que le vent peut tourner et qu'il y a d'autres hommes et d'autres situations.

Elle me regard d'un air moqueur qui voulait dire : comme t'es naïve

Elle pense que les femmes non plus ne sont pas des anges. En tout cas elle ne veut plus retourner ni dans son pays ni dans sa famille. Elle me parlait de changer de religion.

 

Accueil | Qui sommes nous ? | Nos actions| Nos analyses | Nos membres | Ressources | Outils