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6 mars 2004 – Table ronde organisée par le Conseil de la citoyenneté, Paris
Claudie Lesselier – Comité d’action contre la double violence, Rajfire
J’interviens au nom d’un réseau inter-associatif, le
Comité d’action “ Droit des femmes, droit au séjour – Contre la double violence ” qui s’est constitué pour agir de façon forte et cordonnée
contre la double violence subie par les femmes migrantes. Dans ce réseau, nous essayons d’analyser comment les femmes sont affectées par les lois et les politiques en
matière d’immigration et d’asile et quelles revendications peuvent être proposées
pour faire progresser leurs droits. On dénonce souvent les violences conjugales et l’oppression familiale que subissent des femmes et jeunes filles étrangères
en France, mais sans remettre en question suffisamment la violence émanant des lois et des pratiques administratives françaises, de l’État – alors qu’elles sont
tout à fait liées. Ces lois et politiques françaises certes ne sont pas sexuées, mais nous remarquons qu’elles confortent ou aggravent les situations d’oppression
des femmes . C’est pourquoi nous parlons de double violence, de double oppression, des femmes migrantes ou demandeuses d’asile, en tant que qu’étrangères soumises
à une législation restrictive et à des pratiques d’un grand arbitraire, en tant que femmes confrontées à l’oppression sexiste, à des violences et
discriminations spécifiques, dans leur pays et en France.
On assiste aujourd’hui à une féminisation des migrations
internationales, des femmes quittent leur pays pas seulement pour accompagner ou rejoindre un parent, un mari, mais de façon autonome, ne serait ce que parce qu’elles
ont besoin de travailler pour vivre et faire vivre leurs enfants et leurs proches.
Beaucoup de femmes aussi quittent leur pays et, dans
certains cas, demandent l’asile en France, en raison des violences qu’elles ont subies ou dont elles sont menacées en tant que femmes : les violences contre les
femmes sont parmi les raisons qui poussent des femmes à quitter leur pays, quels qu’en soient les auteurs (la famille, la société, les hommes, des groupes
politiques, religieux ou armés, l’état), et plus fondamentalement encore les discriminations structurelles contre les femmes, la négation de la liberté et des
droits
des femmes, et la répression contre celles qui transgressent les règles sociales et morales qui leur sont imposées.
Mais les frontières se ferment, les migrations légales
sont rendues très difficiles, le droit d’asile est mis en cause. La fermeture des frontières
par contrecoup favorise toutes sortes de pratiques d’exploitation et de trafic des femmes, l’exploitation dans le système prostitutionnel, dans les mariages
arrangés, dans l’esclavage domestique. Quand des femmes demandent l’asile en raison de violences sexistes, leur demande est souvent refusée : l’argument de l’administration
française est que ces persécutions ne sont pas dues à des agents étatiques, ou qu’elles ne sont pas suffisamment graves, ou pas assez personnalisées, car
précisément elles sont collectives, frappent toutes les femmes en tant que telles. Ainsi, à la violence subie dans leur pays, s’ajoute la violence de ce refus, qui
impose aux demandeuses d’asile déboutées des conditions de vie d’une extrême précarité, et on imagine aisément quel sera leur sort si elles sont renvoyées de
force dans le pays qu’elles ont fui.
Un autre problème qui concerne tout particulièrement les
femmes, c’est la dépendance à laquelle elles sont confrontées. Nombreuses en effet sont les femmes étrangères qui ne peuvent obtenir un titre de séjour qu’en
fonction de leur situation conjugale, comme épouse de nationaux ou de résidents étrangers. Les 3/4 des titres de séjour (hors cartes étudiants et régularisations
exceptionnelles) sont délivrés en raison du mariage avec un Français ou un européen, ou dans le cadre du regroupement familial. Et 75% des adultes qui viennent en
France dans le cadre du regroupement familial sont des femmes. Outre cette contrainte à vivre dans une structure familiale au détriment du désir d’autonomie des
femmes, elles se trouvent en situation de dépendance et soumise au bon vouloir de leur conjoint, car en cas de rupture de la vie commune, le titre de séjour n’est pas
délivré ou n’est pas renouvelé, et c’est donc une situation propice à toutes sortes d’abus, de pressions, de chantages. Ajoutons que les conditions strictes du
regroupement familial, officiellement justifiées par la nécessité de garantir de bonnes conditions d’intégration aux personnes rejoignantes, provoquent en fait
souvent des situations de grande précarité, celles que vivent les rejoignantes qui viennent hors des procédure légales et se trouvent durablement en situation de non
droit. L’inégalité hommes femmes dans le cadre du couple due au système patriarcal est donc accrue par les lois françaises, qui contribuent à faire perdurer une
vision traditionnelle des femmes comme épouse et mère.
Qu’en est il enfin des femmes sans papiers ou en situation
administrative précaire ? Le fait d’être en situation irrégulière ou avec un titre de séjour précaire rend très vulnérable aux violences et à l’oppression
sexistes, et multiplie les obstacles qu’on rencontre pour s’en libérer. Des femmes sans papiers ou en situation administrative précaire témoignent ainsi de faits
de harcèlement sexuel au travail, de la difficulté extrême de trouver un logement indépendant - elles obtiennent parfois un hébergement en échange de services
sexuels ou domestiques - , ou encore de la difficulté de se libérer de violences conjugales ou familiales quand elles s’assortissent d’un chantage au titre de
séjour. Ces femmes sont contraintes à occuper des emplois non déclarés dans le services aux particuliers, des ateliers ou des commerces, le secteur informel, où
elles subissent une surexploitation et souvent une déqualification car elles ne peuvent faire reconnaître leur compétences ni accéder à des formations. Pour obtenir
une carte de résident, on leur demande un emploi stable et des gages d’ “ intégration ” mais comment les obtenir alors que tout les précarise ?
Les politiques et les pratiques administratives doivent
changer. Il faut tenir compte des persécutions fondées sur le sexe et la sexualité pour l’octroi du droit d’asile, rendre possible les migrations de travail,
ouvrir les frontières, régulariser les sans papiers, garantir aux femmes un titre de séjour autonome et indépendant de la situation familiale, combattre
vigoureusement les discriminations racistes et sexistes, aider les femmes victimes de violences à s’en libérer, qu’elles aient ou non un titre de séjour.
Même si la loi de 2003 sur l’entrée et le séjour des étrangers inclut une disposition nouvelle en faveur des personnes victimes de violence conjugale, cet acquis demeure très limité et on assiste en outre à une régression dans d’autres domaines qui conduisent à une précarisation grandissante des étrangers, dont les femmes, en raison de l’extension des délais et des conditions pour obtenir une carte de résident. C’est ce que vont montrer les militantes de Femmes de la Terre.
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