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ACTIONS ET PRISES DE POSITION AU FIL DU TEMPS - 2007 -

Femmes et politiques d’immigration (janvier 2007)

Ce texte est destiné au « contre rapport » sur les politiques d’immigration réalisé par le collectif « Uni-e-s contre une immigration jetable ». Il présente nos observations et analyses critiques sur la situation faites aux femmes migrantes et exilées par les lois et les politiques françaises dans le domaine de l’immigration et de l’asile ainsi que nos revendications.

LES FEMMES ÉTRANGÈRES

Les problèmes rencontrés par les hommes et les femmes migrants et exilés sont à de nombreux égards communs. Cependant, les femmes subissent en outre des discriminations, des violences, des oppressions du fait de leur situation sociale de femmes. Les politiques et les lois en matière d’immigration et les procédures administratives, même si elles s’affirment neutres du point de vue du genre, peuvent donc avoir des effets particuliers sur elles. On constate ainsi une vulnérabilité plus grande des femmes étrangères, en tant que femmes et en tant qu’étrangères, dans les situations de dépendance conjugale, de polygamie, face à la traite des êtres humains, et une insuffisante reconnaissance des persécutions contre les femmes dans le cadre des procédure d’asile.

La dépendance conjugale et ses conséquences

Les conjoint/e/s de Français bénéficient d’un titre de séjour temporaire de plein droit. Il en est de même pour les personnes qui entrent en France par les procédures de regroupement familial en tant que conjoint/e d’un/e résident/e étranger/e. Dans les deux cas, la durée de vie commune nécessaire avant de pouvoir obtenir un titre de résident a été à plusieurs reprises, et encore par la loi du 24 juillet 2006, allongée. La rupture de la vie commune dans les premières années entraîne donc la non délivrance, le non renouvellement ou le retrait du titre de séjour.

Si les hommes sont aussi concernée par cette dépendance administrative, les conséquences sont particulièrement graves pour les femmes car ce sont elles qui sont le plus confrontées à la violence conjugale sous toutes ses formes (violences psychologiques, physiques, sexuelles, séquestration, interdictions de sortir, de travailler…). Cette dépendance administrative, qui peut être associée à d’autre formes de dépendance (isolement, manque de ressources autonomes) met les femmes en situation de vulnérabilité et, craignant de perdre leur droit au séjour si elles quittent leur mari, certaines subissent des situations d’oppression sans issue. La loi donne au mari un pouvoir qui peut être source d’abus et de chantage, et lui permet de se débarrasser impunément de son épouse.

Des dispositions introduites dans le CESEDA en 2003 permettent certes au préfet de renouveler un titre de séjour « lorsque la communauté de vie a été rompue à l’initiative de l’étranger en raison de violences conjugales » (articles 313-12 et 431-2) Cependant ces dispositions présentent plusieurs limites :
- Elles ne permettent que le renouvellement du titre de séjour. Or il arrive que les violences et la séparation surviennent avant que les femmes aient obtenu leur premier titre de séjour, alors qu’elles n’ont pas encore commencé leurs démarches ou ne disposent que d’un récépissé de demande de titre de séjour
- Les décisions relèvent du pouvoir discrétionnaire du préfet et peuvent donc être arbitraires, ou disparates selon les préfectures
- Les préfectures exigent des preuves des violences qu’il peut être difficile de fournir et parfois attendent l’issue d’une procédure pénale. Or les condamnations sont rares. En 2004, selon le Rapport annuel 2006 de l’Observatoire National des Délinquances, 34 848 faits de violences non mortelles sur des conjointes ont été enregistrés par la police et la gendarmerie, mais il n’y a eu que 9 000 condamnations inscrites au casier judiciaire.

En outre, les femmes étrangères rencontrent des difficultés supplémentaires pour défendre leurs droits. Elles hésitent à porter plainte, craignant notamment d’être arrêtées si elles sont en situation irrégulière, de ne pas être comprises ou d’être suspectées de s’être mariées « pour les papiers ». Les structures d’hébergement pour les femmes fuyant des violences sont insuffisantes par rapport aux besoins, et certaines de ces structures n’accueillent pas les femmes sans titre de séjour, car leurs perspectives d’insertion – logement, travail – sont lointaines et incertaines

- Nous voulons qu’il soit mis fin à ces situations de dépendance administrative, dans le cadre d’une refonte du système des droits des étrangers, respectant à la fois les droits fondamentaux à la liberté individuelle et ceux à la vie privée et familiale, et garantissant les droits des femmes face aux situations de violence.

Situations de polygamie : toujours pas de solutions pour les femmes

Depuis 1993 un titre de séjour ne peut être délivré aux personnes qui vivent en France « en état de polygamie » (articles L. 313-11, L. 314-9, L. 411-7 CESEDA). Celles qui avaient obtenu un titre de résident avant 1993 devaient donc avoir mis fin à cette situation pour en obtenir le renouvellement. Les mesures d’accompagnement prévues par circulaires en 2000 et 2001 ont eu un effet limité et en tout état de cause elles ne concernaient que les personnes ayant eu un titre de séjour avant 1993. Des hommes ont pu s’accommoder de la loi en maintenant leurs épouses dans la clandestinité. Les femmes quant à elles sont en situation de précarité et de dépendance extrêmes et rien n’est prévu pour les aider à s’en sortir.

La polygamie est un système social et familial qui implique des rapports profondément inégalitaires entre les hommes et les femmes. Cette inégalité se trouve encore aggravée par des dispositifs légaux inadaptés à la diversité des situations, une incohérence des réponses administratives, et bien souvent la situation de grande dépendance économique de ces femmes. A tout point de vue donc la situation est désastreuse pour les femmes alors que la législation était censée protéger leurs droits.

- Nous voulons qu’il soit mis fin à ces situations de non droit compte tenu de la diversité des situations concrètes et de façon à promouvoir les droits et l’autonomie des femmes.

Traite des êtres humains, proxénétisme et esclavage

Le Code pénal sanctionne la traite des êtres humains (articles 225-4-1 à 225-4-9), le proxénétisme (articles 225-5 à 225-12) et le fait de « soumettre une personne à des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine » (articles 225-13 et 225-14). La traite des êtres humains est ainsi définie comme « le fait (…) de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir, pour la mettre à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit. » (article 225-4-1 Code pénal).

Ce sont des femmes étrangères qui aujourd’hui sont le plus souvent les victimes de ces formes d’asservissement : jeunes femmes attirées en France avec de fausses promesses de travail, de promotion ou de mariage, femmes soumises à l’esclavage domestique, à la prostitution, jeunes filles envoyées en France dans une famille d’accueil douteuse au prétexte d’y suivre des études. Quels dispositions sont prévues pour la défense de leurs droits ?

- Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers (articles 316-1 et 316-2) dispose qu’une carte de séjour temporaire peut être délivrée à l’étranger qui dépose plainte ou témoigne dans une procédure pénale contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre les infractions de traite ou de proxénétisme. En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à l’étranger ayant déposé plainte ou témoigné.
- Cet article ne concerne pas les victimes d’esclavage. Elles ne sont évoquées que dans une circulaire du ministre de l’intérieur du 31 octobre 2005 (NOR : INT/D/05/00097/C), qui recommande aux préfets « de porter une attention particulière aux victimes d’esclavage moderne ».
- La France a en outre ratifié le protocole de l’ONU sur la traite des personnes qui incite les États à fournir assistance et protection aux victimes de la traite des personnes (sans pour autant que les états aient l’obligation de leur assurer le droit au séjour sur leur territoire). L’article 42 de la Loi sur la sécurité intérieure stipulait que "Toute personne victime de l’exploitation de la prostitution doit bénéficier d’un système de protection et d’assistance, assuré et coordonné par l’administration en collaboration active avec les divers services d’interventions sociales".

En pratique :

- la délivrance d’un titre de séjour est une décision discrétionnaire. Même si il y a eu plainte ou témoignage dans une procédure judiciaire, rien ne garantit la délivrance de ce titre, selon l’expérience des associations qui aident les femmes prostituées. Il est d’ailleurs extrêmement difficile de porter plainte vu le risque de représailles et l’absence de mesures d’aide et d’accompagnement. En matière d’esclavage, le plus souvent, selon le Comité contre l’esclavage moderne, les autorités administratives attendent l’issue pénale - or peu d’affaires d’esclavage moderne aboutissent à une condamnation – et au mieux, et si il y plainte, délivrent une APS.
- les mesures d’assistance prévues par la loi ne sont pas mises en place par les pouvoirs publics. Ainsi le décret qui selon l’article 316-2 du CESEDA devrait déterminer les modalités de délivrance de la carte de séjour pour les personnes qui portent plainte et « les modalités de protection, d’accueil et d’hébergement » n’a pas encore été pris. Il n’y a ni protection des témoins, ni dispositifs d’hébergement, de formation, de soutien psychologique ou d’aide à l’insertion professionnelle, à part ceux que s’efforcent de mettre en place les associations qui agissent dans ce domaine.
- les mesures répressives contre les femmes prostituées se sont en revanche accrues, avec l’introduction en 2003 par la loi sur la sécurité intérieure du délit de « racolage public » passible de prison et d’amende (article 225-10-1 Code pénal). Les femmes étrangères peuvent en outre être reconduites à la frontière si elles sont sans papiers ou si elles ont une carte de séjour temporaire car celle ci peut leur être retirée. Cette loi les contraint donc à davantage de clandestinité et les met encore plus en danger.

Il n’existe donc aucune réelle volonté politique de lutter contre les phénomènes de traite, d’esclavage ou de proxénétisme et de défendre les droits des victimes, bien au contraire : elles sont considérées comme des délinquantes, des migrantes illégales. Menacées de reconduite à la frontière et de représailles, isolées, souvent traumatisées par les violences subies, et sans alternatives, comment pourraient elles se libérer de ces situations ?

- Nous revendiquons la délivrance d’un titre de séjour et toutes les mesures d’assistance nécessaires pour que les femmes puissent se libérer de toutes les situations d’exploitation sexuelle et d’esclavage.

- En outre la situation des victimes de la traite des êtres humains peut relever du champ d’application de la Convention de Genève et donc de la reconnaissance du statut de réfugié s’il existe des risques pour la personne en cas de retour dans son pays, comme l’a rappelé dans une déclaration du 7 avril 2006 le Haut Commissariat aux Réfugiés. Cependant en France très peu de personnes ont pu obtenir l’asile à ce titre – et elles n’ont obtenu que la protection subsidiaire (pour la définition voir avec la partie asile de ce rapport). Nous revendiquons donc la reconnaissance du statut de réfugiée pour ces femmes qui ont été victimes de persécutions de la part de ces réseaux de traite ou de proxénétisme et sont en danger.

Pour un droit d’asile effectif

Environ un tiers des demandeurs d’asile en France sont des femmes, et parmi elles certaines introduisent leur demande sur le motif de persécutions subies du fait d’être femme. En effet les femmes peuvent être persécutées pour les mêmes motifs et dans les mêmes circonstances que les hommes, mais elles sont aussi l’objet de persécutions spécifiques : des femmes sont persécutées pour avoir enfreint les normes de leur société, pour avoir voulu faire reconnaître leurs droits humains fondamentaux, subissent des violences familiales sans pouvoir bénéficier de la protection de leur Etat, des viols en temps de guerre, des tortures sexuelles… Ces persécutions peuvent être le fait de l’Etat mais aussi de proches ou du voisinage.

Malgré quelques progrès ces dernières années - reconnaissance du statut de réfugié pour des femmes victimes de mariages forcés, dont les petites filles sont menacées d’excision ou en raison de leur orientation sexuelle - cette reconnaissance des violences sexistes comme une persécution donnant droit à une protection internationale n’est pas fondamentalement acquise. Quand l’asile n’est pas tout simplement refusé, c’est très souvent la seule protection subsidiaire qui est accordée. En outre les procédures d’asile et les dispositifs d’accueil ne permettent pas toujours aux femmes d’exprimer la réalité des violences qu’elles ont subies ou dont elles ont été menacées et de faire face aux traumatismes vécus dans leur pays et dans leur parcours d’exil.

- Nous voulons que les persécutions liées au genre soient mieux prises en considération dès lors qu’une femme encourt des risques dans son pays d’origine sans pouvoir attendre une quelconque protection de la part des autorités étatiques et que ces femmes se voient reconnaître le statut de réfugié.

- Nous voulons que l’accueil et les procédures soient améliorés pour tous les demandeurs d’asile et notamment pour les femmes, ce qui passe par une formation aux problématiques de genre pour toutes les personnes concernées par la demande d’asile, une prise en charge sociale adéquate.

Les femmes sont tout particulièrement touchées par la vision utilitaire, soupçonneuse et restrictive de l’immigration. La défense des droits des femmes migrantes ou exilées doit être prise en compte par tous les acteurs, qu’ils soient de la société civile ou des institutions. Bien entendu, porter attention à ces situations de violences ne doit pas servir à alimenter des représentations simplistes et racistes (telles que « tous les hommes immigrés sont violents », « toutes les femmes étrangères sont soumises ») ni servir d’alibi humanitaire à des politiques répressives. Au contraire, c’est un combat qui fait partie intégrante du combat pour le respect des droits fondamentaux des êtres humains.