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FEMMES, MIGRATIONS, VIOLENCES, DROITS - ETUDES, ANALYSES, POINTS DE VUE ASSOCIATIFS OU INDIVIDUELS -

Présentation du livre de Smaïn Laacher : Femmes invisibles, leurs mots contre la violence, Paris, Calmann-Lévy, 2008

Smaïn Laacher, Femmes invisibles, leurs mots contre la violence, Paris, Calmann-Lévy, 2008, 264p.

Smaïn Laacher a travaillé sur un matériau inédit : des lettres adressées aux associations Ni Putes Ni Soumises et Voix de Femmes, complétées par des fiches d’entretiens téléphoniques et environ 30 entretiens individuels. Ces lettres sont aussi mises en relation avec le courrier envoyé à Ménie Grégoire, animatrice à RTL entre 1967 et 1981. Dans les lettres adressées à NPNS les dénonciations de faits de violences arrivent largement en tête, et notamment les viols, les violences familiales, conjugales, les mariages forcés et le harcèlement. 161 lettres ont été étudiées, portant sur les violences familiales et conjugales. Les lettres adressées à Voix de femmes, au nombre de 100, portent sur le mariage forcé, puisque tel est l’objet de l’association. Ce matériau permet d’éclairer non seulement ces réalités de violences et de souffrances, mais aussi « comment le privé devient public » : comment des femmes utilisent cette médiation de l’écriture pour faire état de ces violences, dont les auteurs sont le plus souvent des personnes proches, qui se déroulent dans un milieu où pèse une certaine contrainte à se taire face à de tels problèmes, et dans une société où, si ces violences sont officiellement combattues, les moyens concrets d’y faire face restent très réduits.

L’auteur situe d’abord sa recherche dans un contexte « médiatique, intellectuel et politique » où les violences envers les « femmes de l’immigration » ont été le plus souvent tues (par crainte de la « stigmatisation », par indifférence…) ou instrumentalisées de diverses manières, et la réalité obscurcie par certains débats très idéologiques. Mais plus globalement – et il faut en revenir aux milliers de lettres adressées à Ménie Grégoire, qui ne provenait pas pour la plupart de « femmes de l’immigration » - l’éclosion d’une parole et de revendications de femmes transgressant la frontière établie entre le « privé » et le « public », brisant la « loyauté domestique » (et/ou les contraintes sociales et « communautaires ») témoigne d’un bouleversement des rôles des femmes et des hommes dans la famille et la société, et est aussi un moteur de changement.

Ensuite l’auteur analyse ce corpus de lettres et de témoignages adressés à NPNS et à Voix de femmes, qui proviennent très majoritairement de femmes et de jeunes filles « issues de l’immigration maghrébine » et secondairement de l’Afrique subsaharienne, et quand une référence religieuse est indiquée, il s’agit majoritairement (mais pas exclusivement) de la confession musulmane. Quelles sont les réalités contre lesquelles elles protestent ? Avec quels mots ? qui intervient en leur nom, le cas échéant ? Qui sont les persécuteurs ? Que demandent elles à l’association qu’elles sollicitent ? Quelles démarches entreprennent-elles ? Quels espoirs, revendications, valeurs, opposent-elles à ces situations de violences ?

Un dernier chapitre présente la figure d’un « médiateur-conciliateur » de l’UOIF qui reçoit des personnes et des couples en situation de conflit. On ne dispose cependant que du point de vue de ce médiateur et pas d’autres éléments sur ce qui peut se passer dans ce type de médiation, étant donné notamment ce qu’est le projet politique de cette organisation. L’auteur remarque néanmoins qu’il s’agit là de « dénoncer la violence conjugale tout en s’épargnant collectivement une réforme politique des rôles et des statuts sexuels ».

Il est difficile de résumer davantage ce livre très riche et très précis. Ayant moi même dans le cadre d’une association reçu ce type de courrier (provenant dans ce cas de migrantes pour qui violences sexistes, conjugales surtout, violence sociale de la précarité et violences institutionnelles se combinent), ou encore travaillé à accompagner des exilées dans une demande d’asile qui implique de faire un récit des persécutions subies, je ne peux que partager le souci de tenir compte de ces paroles, au carrefour du domaine privé, personnel, voire intime, et de l’espace public, et souligner l’intérêt de cette méthode.

Si les recherches en sciences sociales, selon l’auteur, ont pu manquer de pertinence en n’analysant pas suffisamment l’exercice du pouvoir et l’articulation « des relations inégalitaires et des rapports de violence » dans les divers espaces, il y a néanmoins des écrits (il y a un chapitre sur « les femmes immigrées dans Les violences envers les femmes en France, une enquête nationale, La Documentation française, 2002), et les associations de femmes ou féministes de terrain (généralistes ou plus spécifiquement de solidarité avec les femmes migrantes) recueillent et rendent publics, certes de manière plus artisanale et peut-être sans être connues dans le champ académique, de nombreuses informations sur des violences imbriquées auxquelles sont confrontées des femmes de l’immigration et sur leur volonté d’émancipation.

Terminons en soulignant que ces problématiques (c’est aussi le point de vue de l’auteur) concernent toutes les femmes : « l’expérience accomplie par des femmes qui se sont adressées en personne ou par courrier à des dispositifs non familiers telle qu’une association, la police ou la justice » pour faire état de « maux à la fois singuliers et généraux », participe de « la transformation de sa souffrance en une cause collective ». Elle manifeste « la détermination à décider soi même les conditions de la résolution d’un problème », la lutte pour l’égalité, pour « l’accès à la dignité ».

Claudie Lesselier, 2009